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Séguier

« Murat, il me fait chier, surtout quand il a un album qui sort. »

Avant de finir par se faire une place dans le paysage musical français, Jean-Louis Murat, dont Franck Vergeade vient, pour Séguier, de retracer la carrière dans Le Lien défait, aura bouffé beaucoup de vache enragée. Est-ce de cette manière que l’homme se fit les dents, qu’il avait particulièrement dures ? Depuis son Auvergne natale, juché au-dessus de volcans mal éteints, le bougon bougnat aux beaux yeux bleus aimait adresser des cartes postales cinglantes et provocantes à une industrie du disque tournant, selon lui, bien trop en rond (au ronron, même). Murat n’aura jamais vraiment joué le jeu du showbiz et de la promo, préférant celui de la vérité (revoir certaines de ses prestations dans cet exercice est assez jubilatoire, tant il y mettait parfois de mauvaise volonté), jamais voulu se soumettre – se méfiant des goûts du public et n’épargnant même pas le sien – et se ranger. Ce qui en fait un artiste assez inclassable : chanteur d’expression française certes, prolongeant une vieille tradition littéraire et libertaire, mais dont les espaces imaginaires furent, dès son plus jeune âge, colonisés par les musiciens américains des rives du Mississipi ou du Far West, de Wilson Pickett à Neil Young. Dès le début des années 1990, après ses albums Cheyenne Autumn (où figurent les singles L’Ange déchu et Si je devais manquer de toi, qui lui valent un succès critique et public) et Le Manteau de pluie, Libé et les Inrockuptibles, alors magazine de référence pour les amateurs de musique « indé », prennent fait et cause pour Murat. Et l’auteur-compositeur-interprète s’impose déjà comme un très bon client en interview, franc-tireur flinguant à tout va, comme le montrent ces extraits d’entretiens accordés aux Inrocks entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000, époque des enregistrements de Dolorès (1996), Mustango (1999), Le Moujik et sa femme (2002) et Lilith (2003).

 

Souvent en interview, mon côté blaireau ressort, ça peut dissuader les gens d’écouter ma musique. Le fossé grandit entre la tenue qu’il y a dans mes chansons et mon côté détendu, débridé, en interview. Ça me nuit beaucoup, je le sais. Les gens m’abordent comme si j’étais un copain de lycée, une sorte de blagueur de bistrot. C’est vrai que j’ai un côté péquenaud, un peu blaireau. Je n’essaie pas de nier mes origines mais j’essaie de devenir autre.

(2003)

 

*

 

Il m’a fallu du temps pour sortir de ce que je suis

Cheyenne Autumn, ça fait très années 80, fin du mitterrandisme, disque un peu glacé, prétentieux, qui se croit une exception culturelle. Peut-être bien qu’il se dégonfle avec le temps. Pour moi en tout cas, ça n’a ouvert aucune porte, à tout point de vue. Je voulais qu’on me donne mon blason, être adoubé. Après, il faut savoir sortir de ce genre d’exercice. De toute façon, après toutes les années de galère, de refus, que j’avais endurées, j’étais pas complètement dupe. Je savais aussi que je n’avais pas été signé chez Virgin pour des raisons artistiques : le type qui m’avait fait signer le contrat avait voulu faire plaisir à sa femme, qui m’aimait bien. Partant de là…

(1996)

 

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Il m’a fallu du temps pour sortir de ce que je suis : un petit mec de la campagne qui a l’ambition de se hisser au niveau de sa discothèque. Dans ma discothèque et ma bibliothèque, j’aime les gens qui se tiennent.

(2003)

 

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J’ai l’impression qu’on me voit dans un tout petit volume, dont je ne sortirai jamais. Mais moi, je sais que depuis Cheyenne Autumn, je n’ai pas occupé le dixième de l’espace que je compte explorer. On me voit petit comme ça alors que j’ai du mal à faire le tour de moi-même… C’est terrible cette image restrictive. Ma propre maison de disques m’a envoyé une cassette avec des groupes actuels, comme pour m’éduquer, m’ouvrir les oreilles. Des trucs que je connaissais par cœur… Ils devaient croire que j’écoutais Ferré et Brassens à longueur de journée. J’étais scié, c’était une sacrée gifle.

(1996)

 

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J’ai pu avoir un poil de complaisance. Des chansons où je voulais déguster la liqueur noire de la mélancolie. Mais le problème, c’est que j’étais vraiment dans le noir. Les gens ne veulent pas comprendre que plus tu es dans le trou, plus tu peux être gai dans la vie de tous les jours. Avoir ce côté désinvolte, « n’ayons l’air de rien ». Alors certains disent : « Qu’est-ce que c’est que ce cirque, vous avez vu comme il était détendu et rigolo l’autre soir ? Et après, les chansons qu’il nous fait ? Quelle comédie ! » En plus, j’ai parfois l’impression qu’avoir un fond de tristesse, c’est une tare. Autant être une vache folle… Ce qui est quand même formidable, c’est que je me suis souvent retrouvé accusé de tristesse par des gens parfaitement sinistres – tu passerais deux jours avec, tu jouerais pas au foot avec… Ceux-là, qu’ils aillent se faire foutre avec la noirceur.

(1996)

 

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J’en suis arrivé à me dire qu’on ne chante pas impunément. Voilà sans doute la différence entre le show-business et ce que je peux espérer faire : il y a des chansons qui ne mangent pas de pain et d’autres où l’on jongle avec des poignards – en courant le risque d’en prendre un en plein front. Ça peut faire mal. Et où est le public qui aime ce qui fait mal ? Pendant toute la tournée, c’était criant : quand je chantais « La Momie mentalement », où je me traite d’ordure, le public n’appréciait pas. Ça a contribué à me refroidir. Chaque soir, des dizaines de personnes réclamaient en chœur « Sentiment nouveau ». Pour moi, c’est une chanson gag, l’envers parfait de ce que je voulais faire. Mais ce que les gens attendaient : que je chante « La vie, c’est les vacances. » […] J’ai passé plus de temps à signer des photos de Podium avec Mylène Farmer qu’à discuter avec des lecteurs des Inrocks.

(1995)

 

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Quand tu exprimes ton malheur, les gens changent d’un seul coup de regard. Tu les déçois, tu leur gâches le plaisir. Tu es comme Bernard Hinault le jour où il a abandonné le Tour à cause de son genou. Il faudrait toujours rester dans l’image du champion.

(1996)

 

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Il faudrait toujours rester dans l’image du champion

Sur mes disques, il y a toujours comme ça une chanson limite ringarde, une sorte de bémol. C’est ma façon à moi de désamorcer les choses, de dire que finalement tout ça n’est pas si grave, que je ne suis pas aussi triste sire que j’en ai l’air… Tous les disques que j’aime bien comportent ainsi un moment un peu kitsch, même ceux des Beatles ou des Stones. Même ceux de Neil Young. J’assume tout à fait mon côté ringard. Je ne le cultive pas, mais je n’essaie pas non plus de le maquiller. Je dis toujours aux musiciens avec lesquels je travaille : « Attention les gars, avec moi, on peut passer d’une fraction de seconde du sublime au ringard, alors je vous demande un peu de tenue »…

(1999)

 

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Je n’éprouve pas le besoin de lutter contre mes contradictions

Je n’éprouve pas le besoin de lutter contre mes contradictions. Je rejoins cette idée chez Pouchkine que j’ai relu ces temps-ci. Il a une virilité, une sexualité, un caractère contradictoire dans lequel je me reconnais. Il pense par exemple que la baise est rédemptrice, qu’elle assure le salut de l’âme. Que Dieu, c’est le sexe d’une femme. Je suis très guidé par l’instinct sexuel dans mes rencontres. C’est l’un de mes problèmes, cet atavisme barbare, animal. Cette manière de renifler, de lécher. La gloire de l’amour, c’est sûrement la fidélité. Mais l’infidélité m’est toujours apparue comme une vertu et les sacrifices que suppose la fidélité comme une insulte à la Création. Une telle pensée, ça se paye.

(1995)

 

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Je crois qu’il faut tomber sur quelqu’un d’exceptionnel pour qu’il t’apporte autant qu’un animal. Après ce qui m’a le plus apporté, c’est la lecture. Mais là, j’ai été très mal guidé. Un prof qui m’avait prix en sympathie m’a conseillé Gide. J’ai plongé très fort là-dedans. De 14 à 18 ans, j’ai passé mon temps avec les livres de ce gros con. Les meilleures années de ma vie avec ce type complètement bidon… Six mois pour lire Les Nourritures terrestres, tout ça pour ensuite aller courir dans la nature, me balader à poil, me branler sur les fougères, sortir dès qu’il y avait de l’orage… Cette espèce d’hédonisme à la con. Ça m’a déformé, intellectualisé, incité à blablater. Beaucoup de mes problèmes viennent de là. J’ai perdu quelque chose.

(1996)

 

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Dès que la vérité du rock est dissimulée, on bascule dans la variétoche

Si j’aime le rock, c’est parce que ça doit être une musique de la vérité. Dès que la vérité du rock est dissimulée, on bascule dans la variétoche. Que je destroye la gueule d’Obispo, c’est la nature des choses, c’est mon ennemi de classe. Humainement, je n’ai rien contre lui, mais je me positionne de façon offensive. Si je veux être dans la vérité et les bollocks, je suis obligé de tirer à boulets rouges sur le frelaté. Sinon les gens confondent l’énergie pure et l’énergie frelatée. Moi, par ma culture et ma discothèque, j’ai une idée assez précise de la frontière. Goldman, je n’ai rien contre lui mais, musicalement, il est bidon, je ne pourrais jamais dormir une nuit dans sa peau. Je suis pour le fritage direct. C’est mon côté boxeur et mon exigence. C’est un peu haut et éthéré mais pour moi, vérité et beauté marchent ensemble. Quand je dis ce que je pense, je mets un pied dans la beauté, le territoire que je veux habiter. En faisant des disques, je lance comme ça de petits phares.

(2003)

 

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Murat, il me fait chier, surtout quand il a un album qui sort. Il me file la migraine, mal au ventre, il me fait gerber. Hier encore, il m’a rendu malade. Tout ça pour son disque de merde. S’il le vend bien, il va me lâcher. Il est très terre à terre, arriviste, très vente de disques, pognon, auvergnat.

(1996)

 

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Être un type comme Liberty Valance me calmerait pas mal.

(1995)

 

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Murat, il me fait chier, surtout quand il a un album qui sort

Je n’ai besoin de l’estime d’aucun artiste français, je m’en fous un peu. Ça fait tellement longtemps que je suis là-dedans, je n’ai jamais eu aucun coup de main de qui que ce soit – à part William Sheller. Tout le monde déteste tout le monde en France, je n’ai jamais pu trouver d’amitié franche. Il y a une jalousie très française, très mesquine, très médiocre. J’ai tiré un trait sur l’amitié dans ce milieu.

(2003)

 

 

Extraits tirés des numéros 4 (5-11 avril 1995), 71 (18-24 septembre 1996), 209 (25-31 août 1999) et du hors-série « Interviews » (2007) des Inrockuptibles.