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Interview avec Jack Kerouac

Auriez-vous fait une fugue pour devenir un beatnik si vous aviez su que l’homme qui écrivit On the Road1 vivait avec sa mère ?

Ce texte, à mi-chemin entre l’interview et le reportage, fut publié en douze épisodes dans les colonnes du New York Post au cours de l’année 1959. Son auteur, Alfred Gilbert Aronowitz (1928-2005), ami de Kerouac, fut l’un des pionniers du journalisme rock aux États-Unis. Il présenta Bob Dylan aux Beatles et à Allen Ginsberg et fut le premier (et météorique) manager du Velvet Underground. On dit aussi que son travail fut source d’inspiration pour Hunter S. Thompson, le pape du journalisme gonzo.

 

Il était vêtu d’une chemise de travail en flanelle rugueuse, le pan par-dessus son pantalon, ces vêtements qu’il semble toujours porter lorsqu’on regarde les photos qui illustrent ses livres. Son froc en accordéon, de vieux souliers, ses cheveux noirs en bataille flottant dans le soleil pâle de février. On aurait dit qu’il allait s’engloutir dans l’un de ses romans, ou qu’il en sortait, cueillant le coton dans un champ californien avec son amie, une Mexicaine à la peau ambrée, et son petit garçon qui ramassait le coton encore plus vite que lui, qui se coupait le bout des doigts pour gagner le pain des trois, et une nuit d’amour pour les deux, un amour qui le mena à vivre cette existence que seul un Mexicain peut avoir en Amérique, et il était aussi féroce et tendre que toutes ses amours, aussi agité et éphémère. Ou fonçant en gros « godillots », comme il les nomme, pour sauter dans la draisine, aiguilleur de la Southern Pacific, ou courant comme le champion de football américain qu’il fut, il y a longtemps, ou sautant dans le dur, comme un clodo, brûlant le dur pour aller nulle part, apparemment, mais en réalité allant toujours quelque part, planqué dans un wagon à bestiaux, ou allongé sur un wagon bâché ou découvert, attrapant la crève, quelquefois, mais jamais d’amertume. Ou encore assis, seul, dans la tourelle d’un mirador, comme « forest ranger », guettant les incendies de forêt, seul pendant deux mois sur un piton isolé, comme celui qui s’appelait DÉSOLATION, hurlant des chansons de Frank Sinatra aux étoiles, écoutant la réponse des canyons. Ou peut-être, courant ici et là, de l’East Side à la Côte Ouest, parfois roulant à plus de 110 km/h, quelquefois dans des autobus traînards ; et une fois sous la bâche d’un petit camion « okie », debout, avec d’autres stoppeurs, riant, pissant dans le vent, et disant : « Malheur à ceux qui glaviotent sur la Beat Generation ! Le vent leur rendra ! »…

 

Il était au bord de la route, devant sa maison, et il marchait dans la boue, portant un sac à provisions plus énorme que lui.

 

Une maison comme toutes les maisons de Northport2, une maison de bois, vaste, avec des vérandas devant et derrière, un peu affaissée, mais ne tanguant pas… Entourée d’arbres, de haies, de buissons, et pleins d’autres signes rustiques… Cette maison, récemment, avait été recouverte d’une couche de peinture grise genre peinture de protection comme celle, malheureusement, employée par la Marine.

 

« Dorothy Kilgallen3 a écrit dans sa chronique que je vivais dans une immense et somptueuse maison à 30 000 dollars ! À Long Island ! dit-il. Est-ce qu’on dirait une baraque à 30 000 dollars ? Si j’ai payé 30 000 dollars, alors on m’a vachement baisé ! Hein ? J’ai payé 14 000 dollars… » Et, prononçant le chiffre 14 000, il baissa la voix, comme le prix de la maison, rendant ce chiffre plus dérisoire et mystérieux.

 

« Ce ne sont même pas nos meubles », dit sa mère, une petite femme encore mince, de 64 ans, portant des lunettes… Tablier, bas de laine et bandeau de ménagère autour de la tête. « Ces meubles étaient là voyez-vous. Ils impriment toujours des mensonges à propos de Jack – vous savez sur la Beat Generation, et sur la délinquance juvénile – qui dit Beat Generation dit délinquance juvénile ! – Mais c’est un bon garçon mon Jack, un bon fils. Jamais il ne fut délinquant, jamais ! Je le sais. Je suis sa mère.

— Ouais, ajouta-t-il, nous sommes classe moyenne, nous avons toujours été classe moyenne, comme vous tiens ! »

 

Qui dit Beat Generation dit délinquance juvénile !

En vérité les meubles étaient passablement classe moyenne, trop rembourrés, disparates, zizis en acajou et tout, des meubles rescapés du passé, il en parle dans Doctor Sax, son enfance, son adolescence, dans ces grands pavillons-appartements de Lowell, Massachusets, où le fils d’un imprimeur (qui gérait aussi une salle de billard et un bowling) jouait aux billes, échangeait les BD et ne rata pas un des films des années 30, réalisant beaucoup plus tard qu’il riait comme Harpo Marx…

 

« Nous avons eu cette maison par l’intermédiaire d’une agence immobilière, dit-il. Nous avons vu une annonce dans le New York Times… Elle appartenait aux Eddy – George Eddy, Mona Kent Eddy4, vous avez dû en entendre parler, elle a écrit la série radiophonique Portia Faces Life. Elle est très célèbre », et « très célèbre » était tellement évident que c’était comme si cette précision venait de 2 000 quarts d’heures d’écoute… « Elle peint aussi vous savez. Elle m’a donné ce tableau pour Noël. »

 

Il se dirigea vers une petite croûte encadrée, au-dessus du buffet de la salle à manger, avec des chaises « early American », et des tables sur lesquelles brillaient d’énormes lampes en matière plastique… Il regarda la peinture un moment et dit : « Regardez-moi ça ! Hein ? », puis il se retourna, et nous fîmes le tour de la maison. Et Kerouac disait : « Parce que j’ai publié quelques bouquins, tout l’monde croit que j’suis millionnaire… J’ai fait quoi ? 20 000 dollars – et puis j’ai acheté cette maison – pendant des années, j’ai rien publié, mais rien, et puis tout un coup, paraît que j’étais millionnaire ! Mais personne parle de ces huit ans où j’ai pas fait un rond, sauf ceux que je gagnais en travaillant sur les voies ferrées. »

 

Dans la cuisine, sa mère déballait le contenu du sac à provisions, transférant les boîtes de bière dans un placard, il y en avait beaucoup, et ils n’avaient pas été conçus quand la maison fut construite. Rapidement, il sauva quelques boîtes, les deux mains pleines… « J’vis avec ma mère la plupart du temps, dit-il. Je lui dois tant ! Bien, montez avec moi. On va picoler et parler.

— Allez-y ! dit sa mère. Si je regarde la TV, est-ce que ça vous dérangera ?

— Moi aussi, je regarde la TV, dit-il, me précédant dans l’escalier. San Francisco Beat5, vous connaissez c’machin là, avec les deux gros flics. Savez, les gros flics en civil, courant partout, emmerdant tout le monde, dégommant les beatniks barbus… et remarquez hein les beatniks sont toujours armés jusqu’aux dents… puis j’ai vu Truman Capote, et il a dit : “Oh ! Mon Dieu ! Mais ils n’écrivent pas ! Ils ne tapent qu’à la machine !…” » et il imita parfaitement sa voix fluette de folasse châtrée… puis il pénétra dans une des chambres, il n’y avait qu’un bureau, une machine à écrire, un magnétophone, des livres, des papiers empilés soigneusement sur les meubles. Cette chambre donnait sur la route.

 

« J’dors pas ici, dit-il, désignant un lit du doigt. Je dors dans une autre chambre, avec la fenêtre grande ouverte, hiver comme été. Vous savez, nous avons assez de chambres, alors nous les utilisons toutes. J’aime dormir très tard quelquefois… Me lève jamais avant midi, une heure, puis j’ai jamais pensé que j’pourrais faire du blé en écrivant… comprenez ? L’art c’est d’abord un devoir. C’est une de mes vieilles théories, consignée dans mes cahiers de lycéen… extraite du saint journal de Dostoïevski… pour tout dire, j’ai écrit ces livres comme des “devoirs” sacro-saints… et j’pensais que les manuscrits seraient découverts après ma mort, jamais j’n’ai imaginé qu’ils me rapporteraient du fric !… »

 

Il m’offrit une boîte de bière, l’ouvrit d’un coup de pouce, avala une longue rasade, et s’installa sur une chaise, devant son bureau, et il fut longtemps absorbé par une horde de pensées, de phrases, d’idées – la poésie de son cerveau – marmonnant entre ses dents, ses lèvres bougeaient, il murmurait, regardait par la fenêtre, seul, vraiment, et dans sa poche il y avait un carnet de notes et un crayon, comme d’habitude, prêts à saisir ses cascades spirituelles, mais il ne fit pas… il revint à notre conversation… C’était en 1951… la nuit… quand il lisait ses poèmes dans la cave d’un night-club new-yorkais, The Village Vanguard6, et les journaux avec leurs vacheries sournoises, verbales, qui ne sont que leurs raisons d’être, se moquèrent de lui… Il se dirigea près de la commode, à côté du lit, et ouvrit un tiroir. À l’intérieur, il y avait plusieurs piles de manuscrits mal classés, et un vieil album, épais, qu’il feuilleta, s’attardant, puis découvrant un extrait du New York Times du 18 novembre 1939.

 

C’était l’équipe de football de Horace Mann, qui n’avait rien fait pendant deux ans, mais hier elle conjurait le mauvais sort, personnifié par l’équipe du Maryland, quand sur soixante-treize mètres, Jack Kerouac s’emballa, pour les liquider 6 à 0… C’était la finale pour les deux équipes. Kerouac, un arrière solide, rusé, qui avait les pieds plats, venant de Lowell, le crack de l’offensive pourpre et blanche, finit sa course devant les buts de l’adversaire…

 

Sur une autre page se trouvait un extrait d’un journal de New York non identifié. Lou Little7 se pavane au soleil à Cape Cod et rêve des longues descentes offensives qui transformèrent le jeu, que Jack Kerouac, l’arrière de deuxième année, va gagner avec l’équipe des Lions, à l’automne prochain…

 

Il continua à feuilleter l’album, et il y avait une certaine incongruité dans ces coupures de journaux, du début à la fin. L’incongruité des revues sportives et littéraires. Finalement, il trouva la coupure où il était question de sa lecture publique au Village Vanguard.

 

« Oh, ça allait, dit-il, mais je crois que j’étais morbide… ivre… bourré comme un coing » et, tout d’un coup, sa voix changea : « J’peux plus supporter ce genre de choses aujourd’hui » et sans à-coup, naturellement, sa voix embraya : « J’vais partir en Floride. Et acheter une maison à la campagne… près de celle de ma sœur… oh, à quinze kilomètres de chez elle. Suis trop près de New York ici. »

 

« Ce jour-là… au Vanguard ? J’étais rond, j’avais bu trop de Pernod. C’était un dimanche après-midi. Ils m’ont forcé à relire quelque chose que je n’voulais pas répéter. Aussi j’ai lu un extrait de On the Road que je devais chanter… terrible ! Ça me bouleversa, vous savez… j’avais un vieux pote, un copain d’école, de l’Horace Mann School… j’l’avais pas vu depuis des millions d’années… alors il s’approche de moi… et au lieu de dire : “Eh Dick, te vl’à…” j’étais tellement écroulé à ce moment-là, oh !… Avec tous ces flics qui rentraient en douce, et qui disaient que je devrais être membre du syndicat des flics – ouais avec leur carte ! – et avec les grands gangsters qui eux aussi me voulaient dans leur syndicat… et tous les gens qui me tiraient par la manche… alors je dis » – et sa voix se déguisa, geignarde, mariole, se moquant de lui-même – « Alors je dis : “Ah ! Dick l’indic !… Quelle bonne blague !…” »

 

« C’était le cerveau de cette école, l’esprit, le mec plus drôle… alors il m’offrit un autre Pernod… mais j’étais pas plus sympa avec lui qu’avec son ami qui, se tournant vers moi, me dit : “Crois-tu qu’On the Road soit une blague ?!…”, alors j’ai dit “Ahahahaharrrh ! Tout est une blague !” et je suis parti.

 

« Étais-je bouddhiste à l’époque ? Eh bien ce n’était pas possible, un bouddhiste doit être seul. » Cette remarque le fit rire. « Ouais, un bouddhiste de night-club ! », puis réfléchissant un instant : « Ahah ! Ouais, j’étais bouddhiste ! Ouais… »

 

Ce jour-là, au Vanguard, il lut un fragment d’une de ses histoires : October in the Railroad Earth.

 

J’ai une bonne méthode. C’est l’écriture spontanée. Spontanée et avant le petit-déjeuner

« J’peux écrire comme ça, dit-il, un enthousiasme subit et sûr. J’ai une bonne méthode. Vraie !… C’est l’écriture spontanée. Spontanée et avant le petit-déjeuner. C’est à ce moment-là que nous sommes frais, purs, neufs, et qu’il faut avoir une bonne machine à écrire… J’ai pas dormi quand j’ai écrit ça, vrai, presque pas… J’parlais pas non plus… C’était en 1953, un vendredi. Je n’en ai lu que la moitié. J’ai lu le manuscrit original mais faut que j’l’retape à double interligne pour l’éditeur. » Il rigole tout seul. « Ah oui, c’vieux Truman Capote ! Il disait “Ils n’écrivent pas ! Ils tapent à la machine !” C’est difficile d’écrire spontanément… On n’l’fait pas phrase par phrase. Les phrases sont les pierres d’achoppement du langage. Qui a commencé c’te putain d’affaire de phrases ? Hein ?… comme John Holmes8… J’l’ai vu écrire… Il écrit à toute vibrure, à la machine… mais il est bloqué – il n’peut pas écrire le mot juste – je ne fais pas cela moi, non, si j’peux pas trouver le mot juste, tout simplement j’fais : “Bdbdbdbdbdbdbdbdbdbdbdbddb”, ou alors : “dbdbddbdbduuuuuuuuuh”, en c’moment je suis en train de taper un autre roman, la pile de feuillets est là, tiens, Visions of Neal… Neal… Cassady… un de mes potes, il est en Californie… s’agissait d’lui dans On the Road… c’est un aiguilleur de la Southern Pacific… Visions of Neal, ça ! Énorme !… Celui-là, vous voyez… Nous n’allons pas tout publier, juste 38 chapitres… Sept ou huit dollars, édition limitée… Voyez-vous, mes livres sérieux, eh bien d’un bout à l’autre je suis Jack… Tous les auteurs transforment leurs noms. Moi, j’ai toujours le même nom, mais les autres changent tout le temps. Ray Smith est Jack, Sal Paradise est Jack, Leo Percepied est Jack… »

 

Sa mère à la porte, souriante.

 

« Je vous dérange ?

— Non, mais non, répond-il, non ! Entre ! Et dis quelque chose.

— Que dois-je dire ? dit-elle. Que puis-je vous raconter ? J’ai deux enfants, une fille mariée qui vit en Floride… et Jack ! Il n’est pas marié. Oh, j’avais un autre fils, plus âgé que Jack, mais il est mort… Gérard…

— J’avais quatre ans, dit-il, il avait neuf ans… Ça c’est un autre livre que j’ai écrit, Visions of Gerard… Dans On the Road… Ah, non… Vision of Gerard… Oui, On the Road… J’ai dit que j’avais un frère, mais en vérité, c’était mon beau-frère. Quand on écrit des histoires vraies sur le monde, il faut blouser tout le monde à cause de la loi. Le reste n’est que fictions, rêveries et dérives…

— Vous savez, dit-elle, dans On the Road, il a écrit beaucoup de choses qui n’appartiennent pas à l’histoire…

— Non, non, insista-t-il, tout est vrai, Neal SAIT que c’est vrai. Juste les noms qui sont transformés.

— Eh bien, dit-elle, je vous dis maintenant qu’il a toujours vécu avec moi, sauf quand il voyageait. Il voulait écrire un livre. Il voulait écrire différemment, alors un jour il m’a demandé, et un jour il l’a écrit… Alors de toute manière, après avoir lu le livre, ils écrivent sur lui un tas de choses fausses – je le sais, je suis sa mère – il a vécu avec moi tout le temps. Oh, de temps en temps, l’oiseau s’envole… Il fait un voyage, il navigue, l’Espagne tenez !… Il rend visite à ses amis pendant quelques mois et puis il revient, je suis son seul foyer – à moins qu’il ne se marie encore, qu’il s’en aille quelque part – mais tant qu’il veut vivre avec moi ça va. Mais quand il était en voyage ? Eh bien je travaillais, je gagnais bien ma vie, il n’a jamais manqué de quoi que ce soit… Il me disait où il était et il avait toujours de l’argent sur lui, je lui en envoyais dès qu’il en avait besoin, pour manger, boire, et ses vêtements, chaussures, tout – oui, je travaillais…

— Ouais, elle travaillait dans une usine de chaussures, dit-il.

— … Oh ! Je gagnais bien ma vie, ajouta-t-elle, nous sommes classe moyenne, oui, depuis toujours…

— Nous sommes des bourgeois, dit-il.

— Oui, nous n’avons jamais connu le luxe, les choses extravagantes, mais nous avons toujours eu une vie décente, sans histoires.

— Ouais, les rôtis du dimanche ! s’exclama-t-il…

— Et des vêtements neufs, ajouta-t-elle, vous voyez il n’en porte pas mais c’est vrai. Nous sommes des gens très ordinaires, des travailleurs, nous allons au spectacle de temps en temps, comme tout le monde, et nous voyageons un peu. D’après ce que je sais de lui, il ne fut jamais un délinquant, ni quoi que ce soit, vous savez… Il voyage beaucoup mais ça ne veut rien dire… C’est un bon garçon, il a un bon fond, il est gentil avec tout le monde…

— Autrefois, oui… c’était vrai, dit-il.

— Et c’est tout ce que j’ai à dire, dit-elle, il n’a jamais eu de barbe, bien qu’il serait mieux s’il portait une barbe.

— Ouais, dit-il, tiens ! Clifton Fadiman9 à la TV, un mec avec une barbe, roulant à moto, tapant à la machine en roulant.

— Il y a deux ans il m’a emmené en Californie, dit-elle, et il me traîna partout.

— Oui, à Berkeley. Je vivais à Berkeley.

— Et alors, dit-elle, j’ai rencontré quelques-uns de ses compagnons. Ils avaient tous l’air très bien. De bons garçons ! Eh bien ma foi il étaient très polis, mais, oh ! Il y en un que je ne peux pas supporter ! C’est vrai !… C’est Allen Ginsberg !… Parce qu’il a chez lui quelque chose que je ne peux pas supporter. Et il me fait peur !… Une fois, j’ai lu une de ses lettres, adressée à Jack, quelle horreur ! Il insultait un prêtre qui lui avait témoigné de l’amitié…

— Ouais… il disait à des franciscains d’enlever leurs robes, dit-il. C’était en Italie sur une pelouse, devant le monastère, à Assise…

— Oh ! Ceci me mit en boule ! Oh ! Et puis mon mari ne pouvait pas le supporter non plus ! Et quand mon mari est mort…

— C’est un de mes meilleurs amis, dit-il. Vous savez, elle n’aime pas mon amie non plus.

— Et avant la mort de mon mari… Il m’a fait promettre avant qu’il ne meure que jamais Allen Ginsberg…. Enfin d’empêcher Allen Ginsberg de pénétrer dans notre maison… C’est le seul qu’il n’aimait pas…

— Elle aime Neal, oui, beaucoup, dit-il.

— Neal ! Mais il est très bien ! Oh lui, ça va. Vraiment !… Il est un peu excentrique, nerveux, il aime jouer aux courses – c’est ça qui doit le rendre nerveux je suppose. Il venait chez nous à Richmond Hill, et ce type ne pouvait pas rester assis sur une chaise plus d’une seconde… Il sautait, ici ! Là ! Il était toujours actif… » Puis, réfléchissant un instant, elle se tourna vers son fils : « Vous savez, quand il écrivait ce livre, The Town and the City, il se déguisait en pilleur de banques…

— J’ai pas fait beaucoup d’blé avec c’bouquin, juste deux ou trois mille dollars…

— Oh Jack ! Plus que ça ! Quatre au moins !… Quand tu es parti à Denver…

— Vous savez, j’ai mis trois ans pour écrire ce bouquin, vingt et un jours pour écrire On the Road, taper quoi !… Mon premier livre, The Town and the City est un roman genre roman, avec des personnages, des intrigues, un dénouement et tout ça – regardez ce que j’ai fait avec ce livre – j’ai donné à mon père une immense maison, trois filles à ma mère pour l’aider à faire la vaisselle ! À moi quatre frères, compagnons et protecteurs… Baaah !… Rêveries, songes, dérives !… Il faut écrire avec toute la réalité, les choses et les gens… comment saisir la vérité autrement ?

— Quand il écrivait The Town and the City, mon mari était très malade… Et j’ai dû travailler pour faire marcher la maison, alors il restait à la maison et soignait son père, il pouvait s’arranger avec lui – pas moi – vous voyez, il devait le porter, le nettoyer, et faire toutes les choses pénibles que je ne pouvais pas faire.

— Ouais, j’écrivais un chapitre quand il est mort… J’pensais qu’il ronflait… Dans la chambre, là, à côté… Vous savez, un gros ronflement…

— Ce n’était pas un ronflement, c’était…

— Un râle, dit-il, Mais je tapais, vous comprenez, je tapais comme un dingue, tac ! tac ! tac !… M’suis aperçu de rien… et vous savez que… que c’était terrible…. Alors je m’suis levé pour le voir, parce qu’il s’était arrêté de ronfler… et j’pensais qu’il dormait… Il n’avait que cinquante-cinq ans.

— Cinquante-sept, corrigea sa mère.

— C’est vrai ?… Eh bien je pensais qu’il n’avait que cinquante-cinq ans. Cancer de la rate, dit-il.

— Eh bien, de toute façon, dit-elle, je voudrais vous montrer quelque chose… C’est très simple. Ça ne prendra qu’une seconde. »

 

Alors elle se dirigea vers la porte, sortit et pénétra dans la chambre de son fils.

 

« S’il était vraiment méchant, me dit-elle, me montrant le crucifix en argent au-dessus du lit de Jack, aurait-il cela dans sa chambre ? Et ceci ? – elle me montra un chapelet sur la table de nuit – Il portait cela autour du cou, mais il l’a cassé, un jour… Les Trappistes l’ont béni… »

 

Il ne disait rien, il observait, tenant sa troisième boîte de bière en main, il avait l’air d’un mec s’occupant de publicité pour la télé, soudain il me désigna quelque chose sous le crucifix, avec un plaisir évident… C’était une veilleuse reliée à une chaîne, avec un petit calepin et un crayon qui pendaient.

 

« Je viens juste de combiner ce truc… », tirant sur la chaînette, décrochant le calepin. « Je l’emploie pour noter mes pensées-rêves. Je les entends. Je m’éveille. J’allume. Je note. Vous vous rappelez ? Old Angel Midnight ? »

 

Il lut ce qui était écrit sur la première page. Le message de la nuit précédente.

 

« Va et dis à la cendre avec le poisson que tout ce dont il a besoin est l’illumination… La volonté de l’homme, qui est déjà enregistrée au ciel – étrange volonté, la mort prend position dans ses propres ténèbres. Et je reçois plus de grâce d’un cerveau morveux véreux… »

 

« C’est ce que j’appelle un drap de chevet, dit-il, vous savez, les draps pendus près du lit. »

 

Puis il retourna dans son bureau et regarda le bloc-notes, et encore une fois il lut, mais très lentement cette fois, comme s’il dictait…

 

« La volonté, virgule… qui est déjà enregistrée au ciel… tiret… » ; puis il ajouta, comme réflexion soudaine : « Étrange volonté », puis il gloussa, à cause d’« étrange volonté », comme si c’était un sifflement d’étonnement : « Hou hou !… La mort prend position dans ses propres ténèbres » et il se mit à rire.

 

« Ô Dieu », s’exclama-t-elle.

 

Il continua : « Je reçois plus de grâce d’un cerveau morveux véreux » et il ricana : « Je suis sûr que je doutais lorsque j’ai noté cela…

— Qui peut comprendre ces choses ? dit-elle. Pas moi en tout cas !

— Eh bien, ceci signifie que je suis furieux, je n’obtenais pas assez de grâce, eh bien ça veut dire que j’peux recevoir plus de grâce d’un cerveau morveux véreux que du ciel…

— Mais qu’est-ce que cela veut dire ? dit-elle.

— Ce n’est qu’une pensée religieuse, dit-il, et tout bas, il chantonna : Mor… veux… vé… reux… cerveau… Ce sont des pensées-rêves, je les entends en rêve et je m’éveille…

— Tu es pire que moi ! s’exclama-t-elle. Quand je rêve de quelque chose, c’est toujours mignon… »

 

Il avala une large rasade de bière et, muet tout d’un coup, il commença à former des phrases avec la bouche, des pensées muettes de rêves en plein jour – il regarda par la fenêtre – une expression aussi abstraite que ce qu’il tentait de nous dissimuler. Il murmurait… de lui seul une sonorité intelligible – plusieurs phrases extraites de son imagerie privée, secrète, qui une fois écrites seront tellement intelligibles pour tous – pour d’autres qui, même aujourd’hui, l’appellent Saint Jack…

 

« Oh sûrement ! dit-il, revenant à notre conversation, ils vont écrire beaucoup de livres sur moi quand je serai mort, comme pour Hemingway ! Des critiques ! Des essais !… Ils l’ont déjà fait pour Hemingway – biographie, biblio et tout… Je suis un peu sensible, vous savez… »

 

Je le sentais un peu gêné…

 

« Autrefois, j’étais naïf, j’sur-croyais tout, mais tout !

— Je n’ai pas lu tous ses livres, dit-elle, une fois il m’a dit que si je lisais On the Road, eh bien, je me fâcherai contre lui… Alors comme convenu j’ai lu le début et je me suis arrêtée à la page 34… Je ne suis pas fâchée contre lui parce tout ça, c’est si lointain, mais un jour, je lirai le livre entièrement.

— Elle peut lire The Dharma Bums, ça c’est sympa !… Mais je lui interdis de lire The Subterraneans… Ma sœur l’a lu… Elle aime tout ce que j’écris ma sœur…

— Oh ! C’est une mignonne ! dit-elle. Une fille formidable. Elle n’est pas du tout comme Jack. Oh, c’est le jour et la nuit…

— C’est une comptable, dit-il, et il but encore… The Dharma Bums… Je l’ai écrit après la sortie d’On the Road… J’ai dit à Viking : “J’vous écrirai un autre livre…” et Malcolm Cowley10, mon éditeur, a dit : “S’il te plaît Jack, écris un autre livre comme On the Road avec des péripéties et tout, mais pour l’amour du ciel cesse de parler de toi !”… Il y a de bonnes choses dans The Dharma Bums… Savez, j’ai cramé 500 dollars pour le restaurer… Oui, dans sa forme originale… Ils ont pris The Dharma Bums ! Et ils ont tout changé, ils ont foutu 3 000 virgules ! Et tout ça !… Transformations typographiques… Ils ont trafiqué les phrases, tout – alors j’ai remis les choses en place, et ils m’ont envoyé une facture de 500 dollars ! Avec la mention : CORRECTIONS !… Mais c’était RESTAURATION ! Ils avaient tout salopé ! Et ils ont dit que c’était le style de la maison Viking, ahaha ! Et très gentiment, avez-vous jamais entendu parler du STYLE DE LA MAISON !?!?! – Eh bien ça va pour les bordels mais pas pour les éditeurs…

— Bon, bon, je descends maintenant, dit-elle, et je vais vous faire des sandwiches, pas de viande ! C’est vendredi !… Mais je suis certaine que vous les aimerez.

— Ma ! Finis ton histoire, allons…

— Quelle histoire Jack ? Je n’ai pas d’histoire… sinon que je fus et je demeure la bienfaitrice, et elle rit, j’ai soixante-trois ans, et je vais avoir soixante-quatre ans la semaine prochaine.

— Et nous irons à Radio City ! s’exclama-t-il.

— … Le temps file… Mon Dieu ! s’exclama-t-elle, Dieu, comme les années passent vite après la soixantaine. Mais ça m’est égal, du moment que j’ai la santé, c’est le principal… J’ai grossi, vous savez, je n’ai pas toujours été comme ça, enfin… J’ai cessé de porter des gaines, vous savez, à mon âge on a tendance à s’étaler… »

 

Elle se leva et disparut.

 

« Tiens, j’ai reçu hier une lettre d’Henry Miller [d’]il y a deux ou trois jours. Voyez ce qu’il dit… Ici… Il dit – et d’une voix gazouillante il se mit à lire… Il dit : “Cher Jack, ça gaze pour tes malheurs, le rire ! Ainsi dit le Maître, Rabelais, Northport semble même plus éloigné que Big Sur – et il se mit à rire, ce n’est pas vrai !… Mais où que tu ailles Jack tu seras emmerdé. Je ne m’en fais pas pour toi. T’es dur. Tu rebondis. Tu es gai, suicidaire, et d’une très saine manière. Continue. Vas-y ! Au bout du monde !… Tiens !” Il dit encore : “Un jour, tout simplement, je m’arrêterai, la plume à la main. Meilleurs vœux Jack ! Du courage, quoi !… Signé : Henry…” Vous voyez il va écrire la préface pour The Subterraneans en livre de poche. »

 

Sa mère revient subitement avec un livre relié en cuir.

 

« Tenez, ceci c’est The Town and the City. C’est son premier livre. Lisez ce qu’il a écrit là… C’est toute l’histoire », et elle l’ouvrit à la page de garde, il y avait un message, écrit à l’encre :

 

À ma chère maman, Gab.

 

« C’est le diminutif de Gabrielle, dit-elle. C’est mon nom.

 

De ton fils affectionné, ton humble fils. Aucune mère au monde n’aurait pu aider son fils comme tu le fis, durant les années noires, sans toi ce livre n’aurait jamais vu le jour. Aucune mère au monde ne fut si chérie, si bonne, et si gentille. J’espère que ce livre t’aidera matériellement, en regard de la vie de labeur, d’humilité et de vraie piété, et qu’il réjouira ton cœur, et celui de papa, ce qui me réjouira aussi. Toute mon affection : Jean.

 

« Jean, c’est mon vrai prénom, dit-il.

— N’est-ce pas mignon ? » me demanda-t-elle, puis vivement, elle quitta la pièce, revenant quelques secondes après, avec un autre livre.

 

« Celui-ci est drôle, c’est The Dharma Bums. Regardez-moi ça ! » Et elle me montra la page de garde.

 

À Ma, Timmy & Tyke.

 

« Aarhh ! Timmy est mort, écrasé, dit-il.

— Le chat ! dit-elle.

— Deux chats ! » précisa-t-il.

 

Et elle continua à lire la dédicace :

 

Une troisième aventure, pour payer la maison, la nourriture des chats, le cognac, la bière, le sommeil paisible. De Dharma Bums Jack. Ti-Jean. M’man, t’es là, page 132, et page 133 et 148.

 

« N’est-ce pas gentil ? » me demanda-t-elle en riant.

 

Jack Kerouac riait aussi.

 

Puis elle disparut et ramena un autre livre en cuir relié.

 

« C’est On the Road. C’est vraiment adorable ! »

 

« C’est une copie reliée spécialement, il n’y en a qu’une ! » dit-il.

 

À Ma, ce livre qui t’achètera le petit cottage que tu as toujours désiré – et où tu trouveras…

 

« Ouais, j’ai acheté cette maison, dit-il en riant, Je l’ai presque payée comptant. D’abord 7 000 dollars et six mois plus tard encore 7 000. Les meubles ne sont pas compris… »

 

… la paix complète et le bonheur pour la première fois dans ta vie généreuse et longue. De Ti-Jean, ton fils, l’auteur. Le 14 janvier 1958.

 

« Vous voyez, je reçois tous ses livres, et maintenant, il faut que je les lise.

— Elle n’a pas lu The Subterraneans », m’a-t-il dit lorsqu’elle fut en bas, préparant nos sandwiches. Et il ajouta : « Vous savez, dans ce livre, il s’agit d’une histoire d’amour avec une négresse. »

 

Il se balançait sur sa chaise, il en était à sa cinquième boîte de bière.

 

« J’peux tout piger. Vous savez, comme je dis, Li Po11 et tous ces autres mecs buvaient. Li Po, le poète chinois, c’était un clochard céleste !… Un pauv’ poète, vous savez, errant à travers l’immense Chine… j’en ai écrit des trucs à 18 ans, vous savez… du pur bouddhisme !… J’ai trente-sept ans maintenant, donc j’ai toujours été bouddhiste. Quand j’étais môme, je m’enfermais dans les gogues si des visiteurs arrivaient… toute cette colère Hip12, ce n’est qu’un bout de la vie, extra-joyeuse ! Super !… »

 

Les rides envahissaient son visage, le creusaient méchamment, il était triste, et ce n’était plus l’image délicieuse qu’il y avait dans la revue Mademoiselle13, autrefois sa voix était légère, aérienne, parfois teintée d’amertume et de tristesse, mais toujours douce, tendre.

 

« J’étais dans la Marine pendant la Deuxième Guerre mondiale, oh ! quelques mois – six mois ! – Puis j’ai été renvoyé, personnalité schizoïde », et il riait doucement. « Ouais, un jour ils m’ont donné un flingue et j’ai dû ramper sur le champ de manœuvres, faire le con ! Un ! Deux ! Un ! Deux ! Un ! Deux ! Droite ! Gauche !… Et j’ai dit : “Beurk !… Merde ! J’veux pas faire ça !…” Et j’ai laissé tomber le flingue… Puis je suis allé à la bibliothèque, et j’ai lu… Puis j’leur ai dit : J’veux pas de discipline ! J’aime pas ça ! Et j’en veux pas du tout !… Alors ils m’ont embarqué à l’hosto… C’était en 1940… Puis je suis allé à Columbia jouer au football. J’étais arrière, aile droite… C’est le mec qui contourne, euh, qui reçoit le ballon, là, et puis il cavale de l’autre côté… J’ai joué un an, après je me suis cassé la jambe… Le troisième match de la saison. Pas pu jouer pendant un an. J’avais des béquilles… Alors assis devant le feu, mangeant de gros steaks et des hot fudge sundays… C’était for-mi-da-ble !!!… C’est à ce moment-là que j’ai commencé à lire Thomas Wolfe. J’avais tout mon temps, voyez-vous… Puis je suis reparti en automne 1941, pour la saison nouvelle… J’étais en deuxième année, et j’allais entrer dans la Ligue universitaire – et j’sais pas, mais à l’époque, j’étais vachement poétique, oh oui – je nourrissais de sombres pensées, et tout… Et j’ai fait ma valise… Et je suis parti droit devant Lou Little… Il a dit : “Où vas-tu Jack ?”… J’ai répondu : “Oh, euh, cette valise est vide, j’vais chez ma grand-mère prendre quelques effets…” et j’suis parti avec une valise pleine – j’étais à ce moment-là un très grand poète… Et j’voulais voir le clair de lune en Virginie… Ben j’y suis allé en Virginie », et il se moqua de lui-même.

 

« Alors, bon, j’suis revenu et je me suis mis à bosser pour les stations-service, et tout ça, et puis je me suis engagé dans la marine marchande… Le pôle Nord… Suis revenu en octobre 1942… Et Lou Little – il y avait un télégramme : “Tu peux rentrer dans l’équipe Jack, si tu veux prendre le taureau par les cornes” – j’y suis retourné, et ça a marché pendant une semaine – puis il y a eu le match contre l’US Army – mon pire ennemi ! – Henry Mazur14, le crack de l’US Army ! Le capitaine de l’équipe… Alors j’ai dit à Lou Little : “Mec, laisse-moi le tordre ! J’vais le fader ! Crac !…” C’est lui le mec dans The Town and the City, celui qui me poussa hors de la douche quand j’étais môme, il était méchant ! – j’allais l’avoir c’mec là ! – et Lou refusa de me laisser jouer, alors j’ai dit : “Bof !!!” (et Jack Kerouac cracha par terre) Et je m’en suis tiré, hop !… Mais en fait, il y avait une raison très profonde et bien différente… J’étais assis dans ma chambre, et il neigeait, et les dortoirs… La neige tombait, épaisse…. C’était l’heure de la mêlée… La fête, quoi !… L’heure de foncer dans la neige et la boue, d’s’rouler dans la merde… Et à la radio commençait : « Dum Dum Dum Duuuuuuuuuuuuuuummmmmmmm » – la Cinquième !… Alors j’ai dit – et il chuchotait –, j’ai dit : “Je vais devenir un artiste ! N’serai pas un joueur de football !…” Et ce jour-là j’ai raté la mêlée. Vous voyez ?

 

« Et quelques jours après ça, un mois peut-être, j’ai tout laissé tomber… C’est difficile, dans une boîte Ivy League15 de ne pas jouer au football. Ils vous mènent la vie dure. Ivy League… c’est la merde ! L’hypocrisie, sous savez… Eh, j’me suis fait bouler en chimie… Je DÉTESTE la chimie ! Bof ! Je séchais les cours, je n’allais jamais en classe de toute façon. Mais j’avais les meilleures notes lorsque j’étudiais Shakespeare, avec Mark Van Doren16… Mais recalé en chimie… Ben après tout ça j’ai laissé quimper l’université, et j’suis parti en mer… Et puis j’ai eu un appartement dans le campus de Columbia… Avec ma première femme avant que nous nous mariions… Et tous les étudiants venaient nous rendre visite, jour et nuit, avec des bouquins et des bouteilles, et on se marrait ! Vachement !… C’était le repère de tous les jeunes intellectuels… Ma femme, sa grand-mère vivait tout près, c’était une vieille amie de Nicholas Murray Butler17, le Prez de l’Université… Elle était sa voisine, une vieille maison… Et tout l’monde croyait qu’elle vivait avec sa grand-mère, mais en vérité elle vivait avec moi – dans le péché !… Et voilà Ginsberg qui s’amène ! Et tous les autres !… Allen, 16 ans, les oreilles en feuilles de choux… Et la première chose qu’il me dit fut : “LA DISCRÉTION EST LA MEILLEURE FORME DE VAILLANCE” », et Kerouac imita Ginsberg avec une fausse sincérité, et se mit à rire…

 

Neal est un jésuite. Vous savez, il était enfant de chœur…

« Allen était en première année, mais en quelques années, Allen devint vraiment le Hipster – houuu !… L’influence de Huncke, Herbert Huncke18… eh bien Ginsberg et moi nous voilà ! Et puis voilà aussi cette grande personnalité qui fit tant parler d’elle, cette grande personnalité maléfique de Saint Louis… Bill Burroughs !… Bon, nous allons le voir, et il était for-mi-da-ble !!!… À ses pieds nous nous asseyons, et alors Burroughs est allé voir Huncke, puis il a trouvé tous les autres… Nous avions une bande d’amis, tous de Saint Louis, c’était une clique de types riches, décadents, intellectuels, fin de siècle quoi ! Enfants terribles… pouach ! Buark !… Allen et moi ? Euh, eh bien nous étions deux poètes… j’aimais ses longues histoires sur le New Jersey, et tout ça… J’ai toujours eu un ami comme Allen, vraiment, vous savez, le type latin, étrange, poétique, je veux dire : brun, sombre, mystérieux… Puis Allen et moi commençâmes à former un cercle autour de Burroughs – et Huncke, très important ! Vous savez, il est peut-être aussi important que Neal Cassady, enfin, presque… C’est le plus grand diseur que j’ai rencontré – oh j’aime pas ses idées sur – euh – les malfrats, le crime, et tout ce merdier – évidemment il n’agresse personne, lui, jamais ! Mais il force les connards à le faire, un mac, un vrai, quoi !… Allen et moi nous le fréquentions… Et puis aussi des p’tits mecs, minus, demi-sels, mais nous n’étions pas des criminels, ah non ! Nous étions des étudiants – j’étais marin et Allen était étudiant… Comme Villon, nous étudions leurs personnalités, pour des raisons poétiques… Nous n’avons jamais rien fait… Et Allen ne savait jamais comment s’y prendre pour les virer, mais ils s’accrochaient à lui… Comme disait Norman Mailer, la fascination était Hip. Nous étions passés par l’université et vous avions avalé toute cette merde… Eet ça, euh, eh bien c’était neuf, une nouvelle philosophie en quelque sorte… Et sa plus belle fleur ! Sublime ! NEAL CASSADY !… Et Neal n’était pas un petit mac, oh non… Vous savez… Il était, euh, un homme grandeur nature, beaucoup trop de nature pour être un criminel. D’ailleurs Neal est un jésuite. Vous savez, il était enfant de chœur… Et les prêtres pleuraient sur son épaule… »

 

En minaudant, sa mère arriva, avec les sandwiches, la boisson, un plateau « vendredi maigre » comme elle disait, minuscules et délicieux sandwiches, préparés avec l’expertise de la dame de la maison – il lui demanda une autre boîte de bière.

 

« J’ai eu deux femmes. À vingt-deux ans, je me suis marié, puis… et je me suis remarié à vingt-huit ans. Chaque fois, le mariage ne dura que six ou sept mois. Ma première femme était une belle et riche fille du Michigan, et nous n’avions rien, même pas de fric ! Nous ne mangions que des horribles sandwiches à la mayonnaise – eh bien retourne dans ta famille et bouffe ! ouais… J’écrivais déjà à ce moment-là. Un essai sur Yeats… Et mes premiers romans, des romans de jeunesse qui flottent partout. Elle était très gentille. Mais je l’ai renvoyée chez elle, ça valait mieux… La seconde ? Oh, je ne l’aimais pas. Non ! Elle n’aimait pas mes amis, et pas un seul parmi eux ne l’aimait. Je l’ai épousée parce qu’elle était très belle. Le matin, je me réveillais et je la regardais, comme elle était belle !… Et puis nous devions sortir du lit, aller travailler… Elle s’est remariée… Elle a des jumeaux maintenant… Elle est belle, oh, très bien, mais elle m’envoie toujours les flics… Ouais les bourres ! Tout ça parce que je ne lui ai pas donné d’argent… C’est pour ça que j’ai ripé en Californie – actuellement, mon amie… elle est veuve… C’est celle que ma mère peut pas blairer… parce qu’elle a de longs cheveux, qu’elle ne noue pas, vous savez… Parce qu’elle aime marcher pieds nus… Elle est indienne, 95% indienne… Maman l’appelle LA SAUVAGE… Oui… Et puis c’est un très bon peintre… J’viens d’la rencontrer… Nous tous – notre bande – tous l’aiment – Allen l’adore, tout le monde l’aime… »

 

Sa mère lui donna une autre bière qu’il ouvrit avec le pouce.

 

« Beat, dit-il, ouais… J’m’souviens bien de tout ça… John Holmes et moi écoutions des disques de jazz en picolant, tou-ouuuu-te la journée… Ouais, et nous parlions de la Génération Perdue. Et qu’est-ce que c’est que cette génération triste ? – et nous avons pensé, plusieurs dénominatifs, et j’ai dit : “Ah ! C’est une vraie BEAT GENERATION” », et il le dit tout bas, et il bondit… « Ça y est ! Ça y est ! Vous voyez ! », et il rit à pleine gorge… « Non, je me souviens, j’y suis ! Il fit “AHHHHHH !” voyez… Alors je l’ai notée dans On the Road cette expression. Mais il fit de la publicité pour la Beat Generation avant même que On the Road ne soit publié. Et il l’a même annoncé dans le New York Times – et je me suis fâché, parce que l’article que John écrivit pour le New York Times était le plan bleu pour The Town and the City – et personne ne voulait croire ou même considérer que c’était moi qui avais inventé toute la Beat Generation – Ginsberg prétend et dit que c’est Huncke… Beat… Mais Huncke n’a pas dit Beat Generation, il a dit tout simplement : Beat… Nous avons adopté ce mot… D’abord pour moi, ça voulait dire : pauvreté… Dormir dans le métro comme Huncke… Tout n’était qu’illumination… Oui, des idées lumineuses sur l’Apocalypse, sur tout… Puis je suis allé à Lowell, en 1954, et j’ai pris une chambre sur Skid Row, près de la gare. Je faisais chaque jour 20 kilomètres à pied autour de la ville… Puis je suis allé dans la vieille église où je suis confirmé, et je me suis agenouillé – tout seul, TOUT SEUL… Oui, dans l’église, dans le grand silence de l’église… Et brusquement j’ai réalisé : BEAT !… Beat veut dire béatitude, BEATITUDE ! Béatifié ! – c’était la béatitude dans l’église… Vous voyez ? – mais aujourd’hui qu’est-ce que ça veut dire Beat Generation ?… Il y avait un article dans le journal d’hier… Un gamin avec une barbe… Johnny Jones de East Islip, Long Island… est allé à Frisco pour devenir… un beatnik… Ouais, il vivait dans une piaule sans chauffage ni eau courante, à North Beach. Il écrivait des poèmes, traînait avec des nègres et des jazzmen. Finalement, il a tout laissé tomber, en désespoir de cause, appela sa mère en P.C.V, pleurnicha, et il est revenu, oui, il a rasé sa barbe… Vous voyez comme c’est con ! Rien à voir avec les vrais artistes qui ont tout commencé, tout inventé, tout simplement, voyez-vous… En écrivant LE poème ! Le livre ! C’est un dada, comme la Génération Perdue – je pense que ce n’est qu’une marotte de génération, On the Road – c’est ce qu’il se passait il y a dix ans. Aujourd’hui, c’est pop, célébrité, tout, oui, tout !… Voyez-vous, Allen Ginsberg et Gregory Corso viennent à moi – et me disent : Regarde Jack ! Nous avons fait de la grande littérature, pourquoi ne pas faire quelque chose de VRAI, de grandiose, et pourquoi ne pas nous emparer du MONDE ! – J’ai dit : Ouais, mais si vous vous emparez du monde, qu’allez-vous en faire ? – le monde toussera, le monde ne vous laissera pas dormir en paix – et j’ai cité HOWL19 – et je voudrais m’en aller, vous le savez, à la campagne, et y passer un long moment, très long, comme un poète japonais, haïku… un mec dans le genre Emily Dickinson. Moi j’aime le samedi soir, sortir et me défoncer la gueule à mort, avec une bande de mecs et de filles, mais je n’aime pas être frappé du sceau officiel… Mais Allen et Gregory adorent ça, ils adorent ça – ils adorent rouler en escadron en Chrysler verte et tout ça – et Gregory blague tout le temps… quand il dit ça… Et Allen, ben Allen est le mec le plus gentil du monde, oui, et ça fait des années que je pensais que c’était le diable… » Sa voix devient menaçante, nerveuse.

 

« C’est le diable ! Le diable ! je le pensais parfois… » Sa voix baisse encore d’un ton.

 

Allen ne boit pas beaucoup, mais il a pris beaucoup de drogues…

« Non, c’est moi le diable !… Et maintenant que nous sommes tous les deux plus âgés, je réalise que ce n’est pas du tout le diable. Quand je lui disais : “TU ES LE DIABLE”, il me répondait : “JACK JE T’EN PRIE, NE PARLE PAS COMME CELA…” et je réalise aujourd’hui que vraiment c’est lui le plus gentil… Allen ne boit pas beaucoup, mais il a pris beaucoup de drogues… Ce mec a pris les drogues les plus lourdes, les veines, tout ça, et jamais il ne devint un toxicomane. Grande volonté ! J’en ai beaucoup pris moi aussi, mais je n’en avais pas besoin, j’étais allergique. Je dégueulais tout le temps. Ouais, j’en ai pris beaucoup moi aussi… Plus maintenant… Je suis allé voir Bill Burroughs à Tanger… Il m’a dit : “Eh bien mon gars en avant ! Si ce soir on sonnait le gong pour avoir de l’opium !” – eh bien, ce qui arrive – on dégueule – mais après avoir bien gerbé on reste au lit pendant huit heures, merveilleux pour l’esprit !… Burroughs était Old Bull dans On the Road. Voyez-vous, en vérité, parmi nous, il n’y avait pas un seul mauvais type – sauf un, ah oui, Phil20, c’était l’assassin fou de 1945, il tuait les commerçants, mais nous ne le savions pas – avant qu’il soit arrêté… Il s’est pendu dans les Tombs, vous savez la terrible prison de New York. »

 

Il se leva, se dirigea vers la commode, et ouvrit un autre tiroir. À l’intérieur, il y avait des piles et des piles de calepins. À 50 centimes, comme celui qui sortait de sa poche revolver. Des piles de quinze à vingt calepins, entourées d’élastiques, bien rangées, plein le tiroir.

 

« Romans », dit-il, tapant sur une des piles.

« Roman ! », dit-il, tapant sur une autre pile.

« Roman ! Roman ! Roman ! », et il passa sa main sur toutes les piles.

 

Est-ce que les gens réalisent combien il est angoissant d’écrire une histoire de 300 pages ?

« C’est comme ça que je les écris, vous voyez, et Truman Capote dit que je ne fais que taper à la machine… Au crayon… Comme Visions of Neal !… Mon plus grand livre… Tiens : voici The Dharma Bums… (et il me montra un immense rouleau de téléscripteur)… Trente mètres de long ! Tiens, j’ai écrit On the Road sur un autre rouleau à trois dollars !… Hihihi… Je l’ai donné à Viking, y avait pas de paragraphes… Un seul interligne, un unique immense paragraphe, j’ai dû tout retaper pour qu’ils puissent l’éditer et le publier. Est-ce que les gens réalisent combien il est angoissant d’écrire une histoire de 300 pages ? »

 

« J’ai changé de style, à cause de Neal… »

« À cause d’une lettre de 40 000 mots que Neal m’envoya – IL M’A ÉCRIT UNE LETTRE DE 40 000 MOTS ! – Mais Allen a perdu la lettre, ou plutôt, je pense que c’est Gerd Stern21… Il a perdu cette formidable lettre… qui était l’œuvre d’un génie littéraire… Neal me racontait tout simplement ce qui, une fois, arriva à Denver, Colorado… Dans une chambre d’hôtel… À Denver… Il décrivait CHAQUE détail – exactement comme Dostoïevski l’aurait fait – et je dois dire que c’est la seule façon de raconter une histoire – raconter, tout simplement. C’est Neal qui me fit comprendre cela, on ne s’arrête pas ! On continue continue continue – on s’excite en racontant une histoire, comme Homère sans doute. C’est Neal qui me le fit comprendre, alors j’ai écrit On the Road, et c’est son histoire – c’était le proto-archétype de Dean Moriarty… Neal fut découvert par Denver Doll22, par le mec qui était Denver Doll dans On the Road – Neal était un gavroche… C’est une histoire vraie, chaplinesque – Denver Doll, un avocat, il alla voir des clients, l’un d’entre eux était un poivrot indien… Frappa à la porte qui fut ouverte par un gosse de quinze ans qui bandait comme un âne, une trique comme ça !… Neal !… Il foutait la bonne au-dessus… Denver Doll dit : “Qu’est-ce que c’est ?” (et il imita sa voix, cigare aux lèvres), il a dit : “Mon cher ami tes oreilles sont dégueulasses !”… Et il le ramena chez lui, il lui nettoya les oreilles… L’obligea à aller à l’école… À lire Schopenhauer… Vous voyez ? – il a écrit de longues lettres au directeur de maison de correction où était Neal – alors ce Denver Doll, qui était membre de l’Association des anciens de Columbia University, vous pigez, le vieux baveux… Il fallait faire entrer Neal à Columbia – et il faisait de longs voyages… New York, Denver, New York, pour voir des gens… Et Ginsberg et Kerouac rôdaient… Alors les bruits concernant Neal commencèrent à circuler, à se répandre – et finalement, un jour Neal arriva… N’est-ce pas une formidable histoire ? Complètement embrouillée, folle, comme celle de Dostoïevski… »

 

Dehors le soleil pâle de février, crépusculaire – Jack Kerouac commença par changer de vêtements, enfilant un autre pantalon, une chemise et une veste de sport. Descendit les escaliers, et sa mère le força à nouer une cravate, un nœud papillon continental qu’elle lui avait offert.

 

« Vous voyez, me dit-elle, quand je vous disais qu’il avait des vêtements décents… neufs… Il les porte quelquefois. » Elle sourit, attendrie.

 

Il lui dit au revoir, l’embrassant. Il était temps de partir. Il avait un rendez-vous à New York. Quelqu’un l’emmenait en voiture. L’auteur d’On the Road n’avait pas de voiture.

 

Une fois dehors, il me dit : « Vous voyez, je vais partir en Floride, près de ma sœur. Je veux que ma mère soit près de quelqu’un lorsque je m’absente, ou quand je voyage, quand je suis sur la route comme ce soir – je vais partir, je ne serai pas là pendant tout le week-end. Je n’aime pas penser qu’elle soit toute seule… » Il tripota son nœud papillon, plus tard, à New York, dans un bar, il l’enleva…

 

« Mais Neal, vous savez, Neal me connaît mieux que qui que ce soit… Neal sait profondément qui je suis – j’ai eu mon rythme de Neal, c’est comme cela qu’il parle, des rythmes « okie » par exemple : “You hear me boy? Now look h’yar boy. I’m gonna tell you what you see? You hear me boy?j’ai écrit trois romans sur Neal et une pièce de théâtre. Beat Generation, c’est le titre, nous sommes en train de faire un petit film, avec le troisième acte, Pull my Daisy… Neal… Neal, un grand saint des salles de billard du Middle West. Neal et moi nous nous adorons… »

 

 

Traduit par Mary Beach.

 

 

1. Nous avons, comme l’a choisi le traducteur du texte, conservé les titres originaux des œuvres de Jack Kerouac. The Town and the City, son premier roman, sorti en 1950, est paru en français à La Table Ronde en 1998, sous le titre Avant la route. Le rouleau original, mythique, de Sur la route (la première édition d’On the Road date de 1957), est paru chez Gallimard en 2010. The Subterraneans (Les Souterrains, écrit en 1953) et The Dharma Bums (Les Clochards célestes) parurent tous les deux aux États-Unis en 1958, Maggie Cassidy (écrit en 1953) et Doctor Sax (écrit en 1952) l’année suivante. L’édition originale de Visions of Gerard est de 1963. Elle est sortie chez Gallimard en 1972. Le poème en prose October in the Railroad Earth fut écrit en 1952 à San Francisco.

2. Petite ville située au nord de Long Island.

3. Célèbre éditorialiste et journaliste de la télévision américaine.

4. Prolifique auteur radiophonique.

5. Série télévisée policière tournée dans les années 1950.

6. Légendaire club new-yorkais de Greenwich Village ouvert au milieu des années 1930. D’abord dédié à la musique folk et à la poésie, le Village Vanguard devint un club de jazz à la fin des années 1950. Les plus grands (Miles Davis, Thelonious Monk, Stan Getz, Charlie Mingus, Sonny Rollins…) s’y produisirent.

7. Célèbre coach de football, il dirigea l’équipe universitaire de Columbia de 1930 à 1956. Il apparaît sous les traits de Lu Libble dans le roman de Kerouac Maggie Cassady.

8. John Clellon Holmes (1926-1988). Poète et professeur originaire du Massachusetts. Son livre Go (1952) est considéré comme le premier roman Beat. C’était un des plus proches amis de Kerouac au mode de vie beaucoup plus rangé que celui de l’auteur de Sur la Route. On le surnommait d’ailleurs « Le Beat tranquille »…

9. Clifton Fadiman (1904-1999) : intellectuel, auteur, homme de radio et de télévision, il travailla pour de grands networks (CBS, ABC) mais fut également éditeur chez Simon & Schuster et responsable de la section littéraire du New Yorker.

10. Grand éditeur chez Viking, Malcolm Cowley (1898-1989), émigra à Paris dans les années 1920, y fréquenta Hemingway, Fitzgerald, Pound, Gertrude Stein, E.E Cummings et chroniqua les tranches de vie de la Lost Generation dans la capitale française. Militant de gauche, un temps proche du communisme, il fut également un inlassable promoteur de l’œuvre de William Faulkner.

11. Ou Li Bai (701-762), poète de la dynastie des Tang, disciple du Tao, philosophe et marcheur infatigable.

12. Être Hip, c’est tout à la fois et en gros, vagabonder, glander, fumer de l’herbe, écouter du be-bop, être dans le coup, quoi…

13. Revue fondée en 1935, spécialisé dans la publication de pulps, elle fut reprise par le groupe Condé-Nast à la toute fin des années 1950. Truman Capote y publia des textes et Sylia Plath y fut éditeur invité durant l’été 1953. Sa parution cessa à la fin de l’année 2001.

14. Henry J. Mazur (1919-1988). Né comme Kerouac à Lowell dans le Massachusetts. Grande vedette du College football, il fut capitaine de l’équipe de l’US Army. Pilote de l’US Air Force, il termina sa carrière militaire au grade de colonel.

15. On désigne sous le nom d’Ivy League huit des plus prestigieuses universités américaines, toutes situées dans le nord-est des Etats-Unis : Brown, Columbia, Cornell, Dartmouth, Harvard, Princeton, University of Pennsylvania et Yale. Le terme fait également référence aux championnats athlétiques qui opposent ces universités.

16. Poète, écrivain et critique, Mark Van Doren (1894-1972) enseigna l’Anglais à Columbia durant près de 40 ans. Obtenant le prix Pulitzer de poésie en 1940, il fut une référence pour Jack Kerouac et Allen Ginsberg, qu’il aida à éviter la prison.

17. Philosophe et diplomate, Nicholas Murray Butler (1862-1947) présida Columbia de 1901 à 1945 et reçut en 1931 le Prix Nobel de la Paix.

18. Figure de la Beat Generation, cambrioleur, toxicomane et écrivain, Herbert Huncke (1915-1996) fut également un pionnier dans la défense des droits des homosexuels. William Burroughs en a fait un personnage de Junky, son premier roman.

19. ‘‘Hurlement’’. Fameux poème écrit entre 1954 et 1955 par Allen Ginsberg, symbole de la rébellion de la Beat Generation et célébration des marginaux. Kerouac y est cité, de même que Neal Cassady, présenté comme un « Adonis de Denver ».

20. Phil White.

21. Poète, sculpteur, peintre et artiste multimédia, né en 1928, proche des poètes Allen Ginsberg et Carl Solomon, un des héros du poème Howl auquel plusieurs strophes (« Je suis avec toi à Rockland ») sont consacrées.

22. De son vrai nom, Jusin W. Brierly (1905-1985). Avocat et éducateur réputé, Neal Cassady fut un de ses protégés. Il n’est pas impossible que les deux hommes aient eu une liaison. En 1950, Brierl fit dans le Denver Post une recension du premier livre de Kerouac The Town and the City et organisa une signature de l’auteur dans la capitale du Colorado. Dans le rouleau original d’On the Road, le personnage de Denver Doll retrouve un rôle majeur, ce qui n’était pas le cas dans la première édition du livre. Brierly apparaît également dans Visions of Cody.