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Maurice Ronet par Antoine Blondin

« Il ne m’évoque plus le copain de virée ou l’oncle scandaleux mais l’ami d’enfance désormais absent avec lequel on savourait l’un des plus grands plaisirs de l’existence : emmerder le reste du monde. »

Jean-Pierre Montal – dont Séguier réédite l’essai sur l’acteur dont sont tirées ces lignes et les citations en marge ci-dessous – a à peu près atteint l’âge de Maurice Ronet lorsqu’il quitta, en mars 1983, un monde qu’il avait pris grand soin d’emmerder. Le récent lauréat du prix des Deux Magots pour La Face nord (Séguier, 2024) a d’ailleurs écrit dans un de ses livres qu’il ouvre la période la plus glissante de la vie, celles des automnes glacés, des dernières tentatives d’ascensions avant l’inexorable chute…

 

« Tout chez Maurice Ronet était référence littéraire. Il voulait écrire. Il rêvait d’avoir le style d’un Blondin, à qui il vouait une admiration éperdue. Il rêvait d’être un hussard. Alors il a été, comment dire, un hussard par raccroc […]. C’était la droite version hussard, la politique était davantage une attitude qu’un engagement », confiait Pascal Thomas à Alain-José Fralon, dans la biographie que ce dernier consacra à Maurice Ronet en 20131.

Le réalisateur des Zozos fit partie du premier cercle de Ronet. Antoine Blondin et Roger Nimier étaient eux des copains plus lointains du beau Maurice. Copains d’une rive très droite, mais trio bien établi, de jour comme de nuit (de nuit, surtout), sur celle de gauche… Assez naturellement, les trois hussards collaborèrent à quelques projets cinématographiques.

Scénariste d’Ascenseur pour l’échafaud de Louis Malle, Roger Nimier écrivit également le script des Grandes personnes de Jean Valère (adaptation de son roman Histoire d’un amour), deux films où Ronet tient le rôle principal2.

Au début des années 1970, Antoine Blondin signa lui le scénario du Dernier Saut, poussif polar d’Édouard Luntz (Bouquet et Ronet s’y partagent pourtant l’affiche). Une petite dizaine d’années plus tôt, l’auteur du Singe en hiver, enthousiasmé par la prestation époustouflante de Ronet en Alain Leroy, avait donné à la revue L’Avant-Scène Cinéma une très élogieuse critique du Feu Follet. L’admiration entre les deux « moribonds de charme » était donc bien réciproque…

En 1978, à l’occasion de la sortie du Métier de comédien, long entretien entre Maurice Ronet et le journaliste Hervé Le Boterf, Blondin consacra quelques lignes à l’ouvrage (qui accompagne la réédition des Vies du Feu follet) dans Le Figaro. Notons que cette recension, ainsi que la critique du Feu follet de Blondin, ne figurent dans aucun de ses recueils d’articles.

 

NOUS SOMMES ALAIN

Deux mois après avoir assisté à une projection du Feu follet de Louis Malle, la même émotion me noue la gorge à remettre mes pas dans ceux d’Alain, le héros de cette histoire d’homme qu’un autre nous raconte. Ce film déchirant frappe par sa virilité et je n’ai pas honte des sanglots que j’ai remâchés dans l’obscurité de cette petite salle, perdue au fond de Boulogne, ni du retour furtif où je me voulais solitaire à travers des avenues désertes.

La nuit, la marche, la solitude sont des thèmes chers à Louis Malle. Ils lui servent à exprimer que l’être humain est enfermé au profond de lui-même et que toute quête passionnée d’autrui revêt d’abord le mouvement de la fuite.

Celle qui, pour vingt-quatre heures, rejette Alain vers le monde dont il a disparu depuis six mois, présente l’éminente dignité d’un testament. Il faut savoir qu’Alain s’est condamné lui-même à mort et que sa démarche relève d’abord du bilan de faillite. Mais l’inventaire haletant le cède bientôt à l’appel au secours. Qui l’entendra sur les lèvres scellées de l’admirable acteur qu’est Maurice Ronet ? Quel visage, quelle image, quel geste seront assez forts pour le retenir ? La lucidité prodigieuse de ce moribond de charme se heurte à l’atroce et séduisante muraille humaine. Dès lors, il erre en chair étrangère, il s’éloigne et, nous quittant, il nous emporte sans le savoir, sans peut-être que nous le sachions nous-mêmes.

De l’inquiétude, palpable à l’écran. Avec ce type, ça va mal finir.

Le suicide et l’alcool, qui donnent au drame son diapason, ne sont pas l’essentiel de ce dont a voulu nous parler Louis Malle à travers cette adaptation d’un roman de Drieu la Rochelle, mais plutôt l’extrême délicatesse qui fonde les rapports entre les êtres et des règles les plus dirimantes du beau jeu de société. Il y apporte une maturité, une expérience à peine concevable chez quelqu’un d’aussi jeune. On se prend à penser que Louis Malle excelle dans l’art ingrat d’aimer attentivement son prochain, tant chaque détail du film est un gage de sollicitude qui chante à notre sensibilité. Si bien qu’on ne sort pas du récit bouleversant aussi désespéré qu’on pourrait le supposer, mais plutôt étreint par cette mélancolie radieuse que donnent les images de la beauté et de la vérité.

Ce film, où l’on entend battre des cœurs qui ne s’accordent plus, nous révèle à chaque instant dans un murmure que quelqu’un, quelque part, pense à nous. Il ne s’agit même plus de nouer avec un personnage romanesque ces liens d’amitié qui sont le duvet des œuvres d’art, il ne s’agit même plus d’être l’ami d’Alain, nous sommes Alain. Le miracle n’est pas banal, si l’on veut bien considérer que cet homme est une épave sans recours à propos de laquelle Louis Malle a accompli la gageure de nous mettre dans cette situation extrêmement honorable où l’essentiel de nous-même se sent concerné.

 

Antoine Blondin

L’Avant-Scène Cinéma, numéro 30, octobre 1963.

 

La France compte quarante millions d’écrivains. C’est la rançon de l’alphabétisme, qui commence par la fameuse narration : « Raconter votre plus belle journée de vacances. » Les artistes n’échappent pas à cette sollicitation et le monde fébrile de l’édition leur met volontiers à la main une plume qu’eux-mêmes se plaçaient autrefois à hauteur du derrière, sur les tréteaux de la consécration – le plumage ne correspond pas forcément au ramage. Face à la réussite exemplaire d’une Simone Signoret, de nombreux livres de vedettes constituent effectivement des monuments qui méritent le détour… celui qu’il convient de faire pour les éviter. Voici pourtant trois ouvrages d’exception3 en ce que le « miroir que l’on promène le long d’une route » selon Stendhal, renvoie ici autre chose que le portrait en pied de l’auteur, peint par lui-même.

L’homme qui a tourné dans des tonnes de mauvais films sans jamais y être mauvais.

Maurice Ronet nous parle de son métier. Au fil d’une conversation aiguillée par la compétence affectueuse de Hervé Le Boterf, la condition d’acteur se trouve cernée à travers ses problèmes de société et de comportement jusque dans son arrière-pays sentimental. Ce traité familier n’est pas seulement d’un sociologue ou d’un moraliste, il est éclairé par des anecdotes ou l’aveu affleure. Il s’en dégage quelques bons principes et beaucoup de grands sentiments.

Nous sommes en présence de l’anti-Diderot pour qui le comédien pouvait incarner n’importe quel caractère dans la mesure où il n’en avait aucun. Ronet considère au contraire qu’il s’agit moins de se mettre dans la peau d’un rôle que de chercher dans un personnage ce qui vous colle à la peau. L’art dramatique implique l’accord d’une sensibilité foncière et du sens critique, il ne comporte pas de grammaire mais les riches aventures d’un mode d’expression.

Cinéaste, peintre, musicien, Maurice Ronet n’est pas un dilettante mais un professionnel à tête chercheuse. Il pousse les choses à fond avec un goût cascadeur qui révèle un coupeur de ponts dont le mot de passe pourrait bien être « Vers ». Et une aspiration évidente à être le chef d’orchestre de soi-même.

 

Antoine Blondin, Le Figaro littéraire, 22-23 avril 1978.

 

 

 

 

1. Maurice Ronet, le splendide désenchanté, Éditions des Équateurs, 2013.

2. « J’écrivais pour vous depuis longtemps, sans le savoir », aurait confié un jour Nimier à Ronet.

3. Outre Le Métier de comédien, Antoine Blondin présente dans son article deux autres livres d’artistes, ceux de Marcel Mouloudji (Le Pied à terre, chez l’auteur) et de Jacques Dufilho (La Route de Compostelle, La Table Ronde).