Lettres de Fès

Description

« … Je sais que tu ne liras jamais ces lettres. Je t’écris pourtant pour rassembler mes souvenirs. Ils sont épars, ils vont, viennent, surgissent et disparaissent au gré de ma nostalgie, de mes joies et de mes peines.
Je ne raconte pas ma vie ; d’autres, mieux que moi, dans leurs récits autobiographiques, ont fait le récit de nos enfances, de nos espérances, de nos désillusions. J’écris pour moi, pour toi, pour mes filles, pour porter témoignage d’un temps révolu.
Je tente d’évoquer mon monde, aux diverses étapes de ma vie, de témoigner des bouleversements insolites qui commencèrent à fissurer les fondements de nos familles, de notre société et qui devinrent saisissants par leur déconcertante ampleur, en l’espace de deux générations. »
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« C’est à cette époque que je pris conscience de l’errance de notre génération. L’Orient envoûtant et mystérieux avait bercé notre enfance, sa musique et sa littérature nous faisaient vibrer ; l’Occident rationnel, techniciste et conquérant nous avait appris le doute avec Descartes et la liberté de pensée avec les Lumières…
Errance entre la pudeur de taire les heurs et malheurs de notre quotidien, et l’impudeur de se dire et de s’exprimer en toute liberté.
Errance entre le fatalisme qui nous faisait accepter passivement notre destin et l’esprit d’initiative qui nous interdisait d’abdiquer, qui nous poussait à lutter et à affirmer nos choix de vie.
Errance enfin entre la résignation de renoncer parce qu’« il en est ainsi », et l’intransigeance qui nous pousse à comprendre et agir en comprenant.
[…]
Dans cette errance entre deux mondes qui s’attirent et se rejettent à la fois, se scrutent et redoutent leurs violences respectives, certains d’entre nous se sont égarés, irrémédiablement ; d’autres ont choisi d’installer leur camp sur l’une ou l’autre des deux rives de notre « mer commune » ; d’autres ont cherché, comme moi, à revendiquer leur double appartenance, à assumer l’errance, dans la connaissance de soi et la découverte de l’autre. »
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Qui parle dans ces lettres ? De qui parlent-elles, ces lettres qui disent « je » ? Pourquoi les mots se bousculent-ils, se dérobent-ils ? Pourquoi disent-ils et se contredisent-ils ? Comment ce « je », devenu étranger à lui-même, peut-il porter un regard sévère sur les siens et ne pas les renier pourtant ? N’est-il pas spécieux de vivre ainsi, en harmonie avec le milieu social dont on établit par ailleurs une critique acerbe ?